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Glenn Albrecht, philosophe, spécialiste de l’environnement, agriculteur et auteur de Les Émotions de la terre : des nouveaux mots pour un nouveau monde.

Glenn Albrecht ou le symbiocène

Glenn Albrecht, philosophe, spécialiste de l’environnement, agriculteur et auteur de Les Émotions de la terre : des nouveaux mots pour un nouveau monde.

Glenn Albrecht est philosophe, spécialiste de l’environnement et agriculteur à Duns Creek, en Australie. Il prône une vision du monde qui amène l’humanité à appréhender positivement les changements écologiques de son milieu et à penser autrement sa relation avec la nature. Il invente un nouveau vocabulaire pour nous aider à passer à l’ère du « symbiocène », et publie Les émotions de la terre : des nouveaux mots pour un nouveau monde.

En 2003, quelques années avant sa retraite de l’enseignement universitaire en sciences de l’environnement, Glenn Albrecht se lance dans l’étude du lien entre la santé des écosystèmes et celle des hommes, en s’attardant sur les émotions et la nature humaine. Mais c’est une fois à la retraite qu’il commence à rendre publics les résultats de ses recherches. Ce penseur, qui se définit « transdisciplinaire », s’est employé à décrire nos souffrances face à la destruction de notre environnement, en prenant appui sur la relation des habitants de la vallée Hunter, en Nouvelle-Galles du Sud (Australie), à l’énorme mine de charbon à ciel ouvert qui y est exploitée. Ce projet minier dévore le paysage de la région, pollue les rivières et soulève des tonnes de poussière. Les habitants aborigènes expriment leur détresse au philosophe, et ses observations le conduisent à introduire le terme « solastalgie » pour caractériser leur ressenti. « À l’époque dit-il, j’étais surpris de voir que la langue anglaise ne disposait d’aucun mot qui fasse le lien entre détresse environnementale et détresse humaine ». La « solastalgie » représente « le sentiment de désolation causé par la dévastation de son habitat et de son territoire […] Il s’agit du mal du pays alors que vous êtes toujours chez vous », peut-on lire dans son ouvrage Les Émotions de la terre : des nouveaux mots pour un nouveau monde. « Cette solastalgie évidente dans l’exemple de cette mine est plus subtile dans le cas du réchauffement climatique », note l’auteur, qui propose une typologie « psychoterratique » pour qualifier les émotions positives ou négatives causées par l’état de l’environnement sur la Terre. Aujourd’hui, Glenn Albrecht franchit une nouvelle étape. À l’opposé des catastrophistes, il propose une vision « radicalement optimiste de l’avenir » et invente un nouveau concept du vivre-ensemble, c’est-à- dire qui s’applique à l’ensemble du vivant : « J’ai décidé qu’avant de mourir je devais quitter l’antoropocène et vivre dans une nouvelle ère : le symbiocène », déclare-t-il.

 GARDEN_LAB a souhaité en savoir davantage sur le travail du professeur de « sumbiologie », « jardinier d’idées », selon sa propre expression. La rencontre a lieu chez son éditeur français, Les Liens qui libèrent. Glenn Albrecht est de passage à Paris pour la promotion de son ouvrage.

GARDEN_LAB. « SOLASTALGIE », « PSYCHOTERRATIQUE », « SYMIOCÈNE » : VOTRE DICTIONNAIRE S’EPAISSIT D’ANNÉE EN ANNÉE. POURQUOI CETTE DÉTERMINATION À INVENTER UN VOCABULAIRE POUR TRADUIRE DES DÉTRESSES ÉCOLOGIQUES DÉCRITES PAR D’AUTRES ?

GLENN ALBRECHT. Ces dernières décennies, le monde a changé rapidement à une échelle globale et bien plus vite que durant les millénaires précédents. Cette situation inédite motivait l’invention d’un nouveau langage. La sagesse des anciens était valable dans un monde dans lequel nous ne vivons plus désormais. D’où l’extinction des langues et la disparition de la diversité culturelle. Aujourd’hui, il n’y a qu’une seule manière d’être humain. Créer des mots donne l’occasion de remettre de la diversité et de comprendre de nouveau ce monde. Placer simplement « éco- » devant les mots ne rend pas assez compte du malaise. « Éco- » vient du grec oîkos, qui signifie la gestion de la maison, les règles, l’autoritarisme, le patriarcat. Je ne veux pas de ces mots. « Solastalgie » et d’autres termes sont inventés pour donner un sens précis à nos émotions, pour jeter des bombes et nous inciter à penser différemment. J’ai été professeur de développement durable. Maintenant, le monde de la pétrochimie prétend être durable. Quand les mots cessent d’avoir du sens, je me sens contraint d’en créer d’autres, plus diffciles à subvertir. Le réchauffement climatique est visible. Je devrais aujourd’hui vivre à plus de 300 m au Sud, en Australie, pour retrouver le même climat qu’il y a cinquante ans. La « solastalgie » est donc ressentie par beaucoup d’entre nous à travers le monde. Ce sentiment de désolation causé par la dévastation de notre habitat définit notre époque actuelle. C’est un état de fait qu’il faut bannir. J’ai introduit ce néologisme pour pouvoir le détruire ! Et je continue de forger d’autres vocables parce que j’espère proposer quelque chose de nouveau.

G._L. VOUS ALLEZ AUJOURD’HUI PLUS LOIN ET PROPOSEZ UN NOUVEAU MONDE. POUVEZ-VOUS NOUS EN DIRE DAVANTAGE SUR SA CONFIGURATION ?


G.A. Ayant réfléchi toute ma vie à ces changements sociaux et biophysiques, je me sens capable de présenter aujourd’hui une réflexion sur le sens de la vie humaine au temps de l’anthropocène et d’ouvrir les portes vers une nouvelle ère basée sur la symbiose, le « symbiocène ». Dans cette nouvelle ère, l’empreinte des humains sur la Terre sera réduite au minimum. Toutes les activités seront intégrées dans les systèmes vitaux et ne laisseront pas de trace. Je suis un « terroiriste ». Une partie de ma pensée est liée à la France et à ses terroirs. Derrière le terme « terroir », il y a un principe sain : c’est un endroit spécifique qui développe ses propres caractéristiques, en particulier organoleptiques. Chaque terroir a un microbiome particulier. Il ne produit pas seulement du vin et des cultures alimentaires, mais aussi des insectes, des oiseaux, des mammifères Ces endroits existent dans le monde entier et sont à l’origine de sa diversité et de son étonnante complexité. Nous devons sortir de l’anthropocène, qui détruit les terroirs et déchire les liens symbiotiques à toutes les échelles. Je pense qu’il nous faut imaginer de nouveaux espaces qui respectent les symbioses, la pluralité des cultures humaines, et qui forment des régions hybrides émergentes. La taille de ces symbiorégions est variable. Celles qui contiennent beaucoup de ressources peuvent être très peuplées, comme en France ou en Allemagne, où le sol très profond et l’eau abondante permettent de supporter une population riche et dense. Dans le désert, c’est l’inverse.

G.L. COMMENT L’ÊTRE HUMAIN DOIT-IL CHANGER SON COMPORTEMENT POUR POUVOIR SE PROJETER DANS LE SYMBIOCÈNE ?

G.A. L’être humain doit faire advenir l’énergie hybride dont nous avons besoin. Notre intelligence passée n’a pas été justifiée par notre nom d’espèce, Homo sapiens. Nous avons créé notre économie en brûlant les richesses. Une véritable société intelligente devrait arrêter ce processus, car nous en voyons les effets : changement climatique mondial, extinction massive d’espèces animales. Nous avons besoin de nouvelles relations entre tous les êtres humains, quels qu’ils soient… Exerçons cette intelligence pour créer un monde qui conserve certes des échos du passé, mais dont les principes sont renouvelables, recyclables. Créons les conditions d’une croissance en cohérence avec le reste du vivant. Ces conditions permettront d’accéder au symbiocène.

G.L. COMMENT ENSEIGNER LE SYMBIOCÈNE À UNE ÉPOQUE OÙ LE LIEN AVEC LA NATURE EST ROMPU DANS BIEN DES CONTEXTES DE VIE, EN PARTICULIER DANS LES VILLES, LIEUX D’HABITATION DES TROIS QUARTS DE LA POPULATION DANS NOS PAYS ?

G.A. Je crois que cette nouvelle ère arrivera sans qu’un enseignement formel y concoure. Je nomme la « génération symbiocène » les jeunes et moins jeunes qui vont constater par eux-mêmes que l’empereur n’a pas d’habit, que quelque chose ne va pas du tout dans la façon dont le monde évolue de nos jours. L’éducation actuellement organisée conduit à l’écocide. Nous éduquons à perte et générons des emplois qui ne servent à rien. À l’ère du symbiocène, chaque emploi aura un sens et soutiendra la communauté humaine. C’est pourquoi le système d’éducation doit être réformé dans son ensemble. En 2005, Richard Louv a décrit le syndrome du déficit de la nature chez nos enfants. Il est clair que nous perdons le lien avec la nature. Au même moment, nous perdons des surfaces de forêts dans le monde, les récifs coralliens… Comment apprendre dans un monde qui disparaît ? Les artistes, les cinéastes, les écrivains y contribuent, car ils expriment la complexité et la diversité de la vie. Nos enfants comprendront combien nos vies dépendent de la nature en côtoyant la nature autant que possible, mais aussi au travers des démarches artistiques.

Je peux affirmer qu’il y a des avancées en matière d’éducation. Un exemple : les programmes scolaires enseignent de plus en plus l’importance du micro- biome sur le fonctionnement de notre organisme, et également sur nos émotions et nos goûts alimentaires. Chaque être humain est composé de milliards de bactéries qui le font vivre. Nous sommes des holobiomes qui partagent leur vie avec d’autres êtres, ce que j’appelle la « biocommunion ». C’est un coup dur porté à notre ego. Nous sommes nous-mêmes un miroir de la complexité du monde, et cela doit nous faire réfléchir autrement à l’échelle de la Terre.

La population urbaine ne dépasse pas encore la moitié de la population mondiale. Il reste donc beaucoup de personnes vivant dans des villages, à une échelle de ressources raisonnable. L’autre moitié absorbe une quantité colossale de produits alimentaires et les rejette sous forme de déchets. La ville est devenue une structure qui dépasse désormais l’échelle humaine. Les conurbations n’existent qu’en important des produits de très loin. C’est le cœur de notre problème. La ville est une contradiction, son développement ne peut pas se poursuivre de la sorte. Toutefois, nous pouvons concevoir un habitat à haute densité et à haute technologie… à l’image de l’idée des gratte-ciel de l’architecte Franck Llyod Wright, entourés de fermes et de nature. Les villes fonctionnent jusqu’à une certaine échelle. C’est lorsqu’elles deviennent gigantesques qu’elles manifestent un symptôme de l’écocide. Je sais que les gens aiment la complexité et la diversité des villes, mais leur empreinte écologique est désastreuse. Nous sommes tout bonnement en train de détruire la planète pour pouvoir boire une tasse de café, actionner la climatisation, faire fonctionner un ordinateur fabriqué en Chine…

G.L. QUEL TYPE DE GOUVERNANCE ENTREVOYEZ-VOUS AU SYMBIOCÈNE ?

G.A. La démocratie est aujourd’hui attaquée. Je parle de « corrompalisme » pour évoquer la corruption actuelle de la démocratie, illustrée par exemple par les dons des grandes entreprises aux partis politiques. Par là même, les politiciens ne gouvernent plus, ils sont gouvernés. La démocratie a besoin d’un retour à une situation saine. Que signifie démocratie ? demos : le peuple, cratie : diriger. C’est un concept hautement anthropocénique. Nous pensions que ce système permettrait de tout diriger, y compris les non-humains. J’avance l’idée d’une « sumbiocratie », qui soit une forme de démocratie incluant les humains et les non-humains. Sans les écosystèmes, les biomes, la symbiose entre les espèces, la gouvernance serait un échec. Les humains ont besoin de comprendre comment fonctionne la vie.

[…]

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Cet article est extrait du dixième opus de la revue Garden_Lab : Jardins & sécheresse.
À découvrir dans sa version intégrale 

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Couverture de la revue Garden_Lab n°10, Jardins & sécheresse.

 

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