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La migration des plantes, réchauffement climatique, Garden_Lab n°10, Jardins & sécheresse.

La grande migration des espèces a commencé !

La migration des plantes, réchauffement climatique, Garden_Lab n°10, Jardins & sécheresse.

Les migrations du monde vivant font partie de l’histoire de notre planète depuis des millions d’années. Au rythme des glaciations et des réchauffements du climat, de nouveaux équilibres écosystémiques sont nés à chaque épisode. Jusqu’à créer, entre ces mouvements pendulaires, une hyper-spécialisation des espèces végétales et animales, grâce à des conditions climatiques plus clémentes. L’Homme a développé ses civilisations en profitant amplement de ces périodes plus stables pour étendre son empreinte. Même si ces accalmies ont été toutes relatives, il est clair que, aujourd’hui, le réchauffement climatique s’accélère et agit de plus en plus visiblement sur les équilibres naturels qui ont conforté la place de l’humain sur terre.

Février 2020, une communication commune de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) en France et de l’université d’Alicante en Espagne dans le cadre du projet européen Erc-Biodesert annonce : « L’aridité – l’équilibre entre les précipitations et l’évapotranspiration contraint fortement les capacités de production des écosystèmes. Actuellement les surfaces terrestres dites arides recouvrent 41% de la planète et accueillent un habitant sur trois. Les scénarios de changement climatique prévoient une augmentation importante de l’aridité à l’échelle planétaire qui aggravera le déficit hydrique déjà connu dans ces zones et étendra leur influence au delà d’autres écosystèmes qui ne connaissent pas encore ces conditions. Jusqu’à présent les scientifiques faisaient l’hypothèse qu’une augmentation régulière et continue de l’aridité rendrait les écosystèmes progressivement moins verts et fertiles et les paysages plus désertiques. L’étude montre un scénario plus inquiétant : l’aridité croissante pourrait impacter le fonctionnement des écosystèmes de manière brusque et accélérée si certains seuils d’aridité sont franchis. Ces effets de seuil entraînent une chute irrémédiable du fonctionnement des écosystèmes telle qu’une chute de fertilité des sols, l’augmentation de l’érosion et une baisse de la production de nourriture et de biomasse ». Sont considérées « zones arides » les zones tropicales et tempérées avec un indice d’aridité supérieur à 0,6. Elles regroupent des écosystèmes subhumides, semi-arides, arides et hyper-arides, comme le maquis méditerranéen, les steppes eurasiatiques, les savanes et les déserts.

Plutôt que de sécheresse, le géohistorien Christian Grataloup préfère parler d’augmentation de la température : « Température et humidité ne sont pas forcément contradictoires. Les régions les plus arrosées sont des régions chaudes et à l’inverse le froid est facteur de sécheresse. Les pôles les sont les régions les plus sèches. Je ne suis pas a priori convaincu que l’augmentation de la température moyenne d’ici cinquante à cent ans se traduira par une diminution des moyennes de précipitations sur le globe. En revanche il est sûr qu’il y aura une autre géographie des précipitations ou de l’aridité. Dans les régions tempérées fraîches, la température va s’élever. L’humidité va donc augmenter et à l’inverse les zones arides vont s’étendre. » La météo de ces dernières années donne raison au géohistorien. En France métropolitaine, même dans la zone septentrionale, on a l’impression de glisser vers un régime à deux saisons : la saison sèche en été, qui déborde sur l’automne, et la saison humide avec de fortes précipitations en hiver lequel est moins froid et au printemps. En cette ère anthropique numérique, les modélisations fleurissent. Si elles vont toutes dans le même sens lorsqu’il s’agit de parler d’élévation des températures sur le globe, elles se révèlent cependant caduques, tant l’évolution est rapide. Jean-Luc Dupouey, directeur de recherche dans l’unité mixte de recherche écologie et écophysiologie forestière à l’Inrae de Nancy, s’interroge ainsi : « Il va faire plus chaud certes, mais peut-on prédire les niveaux de pluviométrie ? Nos modèles ne valent pas grand-chose finalement. »

[…]

LES MIGRATIONS SONT INÉLUCTABLES

Le monde vivant est donc condamné à migrer, à fuir les zones arides de plus en plus étendues pour gagner des régions plus fraîches et plus restreintes. Cela laisse présager des problèmes migratoires plus déchirants encore et des conséquences géopolitiques non moins problématiques.

La Terre est communément divisée en biomes ou écorégions pour décrire les principaux écosystèmes macro-régionaux. Cette répartition est basée sur une formation végétale dominante et présente des ensembles de paysages assez significatifs d’un contexte climatique et géologique. C’est ainsi que l’on parle de toundra, de forêt tropicale ou tempérée, de désert. Mais c’est compter sans les micro- climats locaux ni l’empreinte humaine. « L’Homme a parfois considérablement modifié les limites et la répartition des communautés propres à chaque type de macro-écosystème à la surface des continents émergés en modifiant notamment les types de végétation voire en les remplaçant par des cultures ou des zones urbano-industrielles », écrit le professeur d’écologie François Ramade en 1983, dans son ouvrage Éléments d’écologie : écologie fondamentale.

La cartographie mondiale a le mérite de proportionner chaque écorégion. « Un biome est un ensemble de compatibilités de vie soumis à une zone climatique donnée. Les plantes ne franchissent guère les limites de leur biome. Les animaux s’y risquent. Les humains sont partout. Ils renforcent la dynamique naturelle du brassage planétaire », indiquait le jardinier paysagiste Gilles Clément dans son exposition itinérante « Toujours la vie invente ». Le continent unique est une autre manière de représenter ces équilibres planétaires, en gommant la notion de continents par assemblage des biomes. Gilles Clément aime utiliser cette représentation pour alerter des changements. Il la définit dans son Abécédaire (2014) comme l’« empilement de biomes […]. Un biome exprime l’idée d’un écosystème émergeant à l’échelle planétaire. La réalité biologique correspond au continent théorique et unique. La réalité physique aux continents morcelés ». Pour Garden_Lab, le paysagiste s’est lancé dans une hypothèse de représentation du continent théorique dans un futur (proche), en regard des changements climatiques et des brassages planétaires. Nous devons la première version du continent théorique au biologiste allemand Carl Troll, dans les années 1940, dont le travail a été repris par le botaniste français Paul Ozenda dans son ouvrage Les Végétaux dans la biosphère (1982). En se référant à ces études, Gilles Clément nous propose de réfléchir à une projection des équilibres de demain. « Je pense que les biomes (zones climatiques) vont se déplacer et modifier leur aire d’occupation. Les zones désertiques pourraient augmenter, les zones méditerranéennes se déplacer vers le nord (dans la partie nord du continent théorique), les zones de toundra pourraient se boiser et les secteurs glaciaires se transformer en toundra », se hasarde-t-il, ajoutant qu’il est presque impossible aujourd’hui de s’assurer de telles transformations.

SUR LE TERRAIN, LES MOUVEMENTS COMMENCENT À SE VOIR

« Pour la première fois, nous avons pu montrer que la préférence thermique des communautés de plantes change depuis 2009 dans les plaines de France », affirmait en 2018 Gabrielle Martin, du Centre d’écologie et des sciences de la conservation (Cesco), à la lecture des résultats de Vigie-flore, la plateforme de science participative mise en place par le Muséum national d’histoire naturelle pour l’observation des espèces végétales sur le territoire de la France métropolitaine. Les conséquences du réchauffement rapide des températures deviennent manifestes sur les zones arides. Les chercheurs du projet Erc-Biodesert concluent leur étude en prédisant que d’ici à 2100 « les écosystèmes de notre planète connaîtront des changements brusques qui affecteront directement plus de 2 milliards de personnes vivant actuellement en zone aride mais aussi au delà. Ainsi l’étude montre que le bassin méditerranéen, dont la moitié sud de la France, pourrait être particulièrement touché par ces phénomènes modifiant radicalement les paysages que nous connaissons ». Toutefois, que cela soit à l’Office national des forêts, au CNRS ou encore à l’Inrae, nos interlocuteurs rappellent qu’il n’est pas facile, parmi les variations observées, de faire la part de l’impact de l’évolution du climat et de la pression humaine.
 En France, le chêne vert étend son territoire notamment dans les pinèdes de la façade atlantique. Réchauffement climatique ? Conséquence des activités humaines ? « Les pinèdes sont tellement contrôlées par la sylviculture qu’il est difficile d’expliquer les causes de ce phénomène », rapporte Jean-Luc Dupouey. Dans le Sud, même son de cloche. Il faudrait davantage de recul et moins de densité humaine pour établir un diagnostic de l’impact climatique réel sur les forêts méditerranéennes, d’après Maxime Cailleret, de l’Inrae d’Aix-en- Provence.

Les effets du réchauffement climatique sont davantage visibles sur la faune. Il suffit de considérer l’extension du territoire de la chenille processionnaire pour s’en persuader. Elle envahit aujourd’hui les deux tiers de la France, l’ensemble de l’Italie, et en longeant l’Adriatique elle est arrivée en Grèce et en Bulgarie. Si cette expansion est directement imputable aux hivers moins froids, d’autres progressions territoriales sont dues également à l’affaiblissement des arbres. Les plantes sont indéniablement plus lentes à se déplacer. Leur migration passe par la reproduction et les multiples moyens de dispersion des graines. Les végétaux compensent leur relative lenteur de migration par des stratégies d’adaptation hors pair, qui leur permettent de faire face au stress. « La végétation a une grande capacité de résistance au changements », annonce Jean-Luc Dupouey. Prenons l’exemple de la végétation méditerranéenne, en nous appuyant sur les travaux de l’écologue britannique John Philip Grime. En 1974, il énonce trois stratégies mises en œuvre par les plantes en général et en fonction de l’état de leur environnement :

– En cas de stress faible et de faible perturbation de l’environnement, la plante a recours à une stratégie compétitive : elle développe un feuillage élevé et dense, une ramification latérale importante des systèmes aérien et racinaire, elle fait preuve d’une croissance forte et d’une reproduction faible. Tout va bien. C’est le cas de la flore des bords de route, des rives de cours d’eau, comme l’épilobe à grandes fleurs ou encore la fougère aigle.

– En cas de stress faible mais de perturbation forte, la stratégie est nommée « rudérale » : les plantes sont de petite taille et peu ramifiées, leur cycle de vie est court, leur croissance est rapide et elles produisent beaucoup de graines. Ce sont les plantes annuelles ou bisannuelles que l’on rencontre sur les jachères ou sur les déblais récemment formés.

– Vient enfin le cas, entre autres, de la végétation méditerranéenne. Face à un stress élevé, dans un environnement peu perturbé, les plantes adoptent la stratégie de la tolérance au stress : elles sont souvent de petite taille, leur feuillage est persistant, leur croissance lente et leur reproduction faible.

Bien évidemment, toutes les combinaisons existent entre ces trois situations selon les nuances de l’environnement local. Ce que l’écologue a représenté dans le triangle de… Grime !

LA MONTAGNE EST UN BON BAROMÈTRE

Mais que se passe-t-il en cas de stress et de perturbations fortes de l’environnement ? La réponse est sans équivoque : il n’y a alors aucune stratégie viable En cas de perturbations importantes, la migration s’impose ! « Toutes les plantes ne migrent pas à la même vitesse », prévient Jonathan Lenoir, chargé de recherche en écologie et dynamique des systèmes anthropisés au CNRS, à l’université de Picardie. Le temps de génération est un premier facteur : entre un arbre et une plante annuelle, la vitesse de migration ne peut être la même. À noter que les graines peuvent être stockées très longtemps dans la banque de graines du sol. Tant que les conditions climatiques ne sont pas propices, rien ne se passe. Avec le changement, des graines vont germer et une migration sera ainsi perceptible, comme on peut le remarquer plus au nord en latitude ou en altitude. Un autre frein à la migration des plantes, en plaine en particulier, est à mettre à l’actif de la fragmentation des paysages en relation avec les activités anthropiques.

En Europe, c’est en montagne que les changements sont les plus notables. La forêt monte en altitude. « En réalité elle reprend la place que l’ Homme lui avait retirée », explique Jean-Luc Dupouey. C’est le cas des anciennes charbonnières dans les Pyrénées, ces forêts surexploitées pour alimenter la métallurgie au bois de l’époque romaine jusqu’au XIXe siècle. Une fois abandonnées par l’homme, elles ont repoussé. « C’est également vrai avec le pastoralisme », ajoute Jonathan Lenoir. Ce mode d’élevage a fait reculer la forêt en altitude, or elle regagne aujourd’hui du terrain suite aux évolutions des pratiques et activités agricoles. « Toutes ces constatations font qu’il est très difficile de déterminer la contribution relative du climat et de l’ Homme sur l’évolution de la végétation », reconnaît le chercheur. Sauf sur les sommets, là où la pression humaine est moins forte, avec des conditions de vie réputées difficiles. Certaines espèces végétales ont commencé à remonter en altitude pour retrouver une fraîcheur favorable. Grâce aux relevés et herbiers effectués par les botanistes depuis le XIXe siècle en Europe, des bases de données ont été constituées et comparées avec la flore actuelle par les chercheurs, tel Jonathan Lenoir. C’est ainsi que des déplacements d’espèces végétales ont été notés. Les données botaniques de plus de trois cents sommets de montagne montrent clairement une augmentation actuelle de la richesse végétale, avec une multiplication du nombre d’espèces. « Les sommets de montagne sont colonisés par de nouvelles espèces venant parfois des étages inférieurs, complètement différentes de celles qu’on y trouve habituellement poursuit Jonathan Lenoir. Elles entrent parfois en compétition avec des espèces plus spécialistes de ces milieu hostiles. Sous l’effet du réchauffement des températures, les conditions deviennent plus favorables. Mousses et fougères sont les premières à arriver. Ces plantes pionnières vont générer un sol qui permettra à d’autres de venir s’installer. Aucune perte de biomasse ou disparition d’espèces n’est constatée pour le moment. Ces plantes qui migrent vers les sommets ne délaissent pas pour autant leur habitat au étages inférieurs pour le moment. Il s’agit d’une extension de territoire ». 

Certes, mais si les températures continuent d’augmenter, le mouvement va s’accélérer, car le seuil de résistance des plantes sera franchi.

[…]

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Cet article est extrait du dixième opus de la revue Garden_Lab : Jardins & sécheresse.
À découvrir dans sa version intégrale

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Couverture de la revue Garden_Lab n°10, Jardins & sécheresse.

 

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