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Jungle intérieur de Patrick Blanc, Garden_Lab 09.

La botanique ou la passion du génie végétal

Interview Francis Hallé et Patrick Blanc, Garden_Lab 09.

Les botanistes ne sont pas des scientifiques du passé. Leur mission est large et primordiale, à une époque où les manifestations du changement climatique nous font prendre conscience de notre méconnaissance du vivant et de la fragilité de son équilibre. Réunis par Garden_Lab, les botanistes Francis Hallé et Patrick Blanc témoignent de l’importance et de l’urgence de poursuivre les recherches sur les plantes dans leur milieu.

Francis Hallé et Patrick Blanc sont les témoins enthousiastes de ce que la science botanique est, ou plutôt était en France jusqu’en 1991, date à laquelle l’enseignement de cette discipline a été supprimé : la science qui nous fait comprendre le monde dans lequel nous vivons. Lorsque ces deux botanistes spécialistes des forêts tropicales se rencontrent, de quoi peuvent-ils bien parler ?

Garden_Lab a voulu le savoir et les a réunis un après-midi de novembre à Paris, dans l’antre tropical de Patrick Blanc. Au-dehors, le temps gris est à la pluie. À l’intérieur, les oiseaux gazouillent, sautillant de liane en liane. Nos deux amis sont confortablement installés sur un plancher de verre, un immense aquarium qui relie le monde aquatique à l’ambiance tropicale de la pièce. Dans cet environnement propice à plonger les deux botanistes dans le vif du sujet, ils confient aimer se rencontrer et prendre plaisir à échanger, à se taquiner, en lançant des discussions qui nous emportent des millions d’années en arrière ou nous font approcher l’infiniment précis de la vie des plantes. Voici des morceaux choisis de cette joviale discussion.

GARDEN_LAB. QU’EST-CE QU’ÊTRE UN BOTANISTE AU XXIe SIÈCLE ? À QUOI SERT-IL ?


FRANCIS HALLÉ. Tout d’abord, je suis fasciné de voir à quel point la période actuelle est favorable pour assister aux progrès de notre connaissance des plantes. Je n’aurais pas dit cela il y a trente ans.

PATRICK BLANC. Être botaniste, peu importe le siècle, c’est commencer par admirer une plante lorsque l’on est face à elle, puis se poser un certain nombre de questions concernant son mode de croissance, sa structure, le milieu dans lequel elle vit. Ces questions servent à faire avancer les connaissances jusqu’alors acquises. Se contenter d’admirer une plante, c’est faire de la botanique en amateur…

F. H. Cela fait soixante ans que je suis botaniste et pas une seconde je n’ai regretté mon choix. Aucun autre métier ne m’attire davantage. J’ai en permanence l’impression d’être exactement à ma place…

P. B. Moi, j’aurais pu être chanteur, mais impossible d’être chanteur sans être botaniste !

F. H. Il est vrai que j’aurais aussi pu être historien.

P. B. On nous qualifie parfois d’artistes parce que nous exposons des œuvres, mais notre démarche est totalement différente. On ne se pose pas les mêmes questions que les artistes. Ces derniers travaillent pour être vus par une certaine catégorie de la population, alors que nous sommes des scientifiques qui cherchent à comprendre le vivant.

F. H. J’ai une anecdote à ce sujet. Il y a quelques années, dans le Midi, j’ai fait une exposition avec des dessins très sommaires. Un vieux monsieur, aux allures de Frédéric Mistral, arrive, regarde cela avec un air sévère et lance : « Excusez-moi de vous dire cela, mais vous êtes manipulé. » Je lui demande pourquoi et il me répond : « Pourquoi faites-vous des dents au bord de cette feuille ? » Je lui fais remarquer que cette feuille a des dents sur les bords ! Il me rétorque : « Eh bien, voilà, vous êtes manipulé par le réel ! » [rires] Heureusement que nous sommes manipulés par le réel !

P. B. Quand je me balade en ville, je ne comprends rien à l’architecture des bâtiments, sauf si un architecte m’explique les choses. En forêt, quand j’emmène des personnes et que j’explique ce que l’on voit, tout à coup le monde du vivant s’éclaire. Ce que je veux dire, c’est que tout s’apprend. Toute discipline a son langage. Être botaniste, c’est s’apercevoir que les feuilles ont des dents !

F. H. Or l’enseignement de la discipline en France pose problème, car depuis 1991, les études de botanique à l’université ont été supprimées. C’est paradoxal, étant donné que l’intérêt pour la botanique n’a jamais été si grand chez nos concitoyens.

P. B. La botanique est en effet réduite à un rôle d’outil pour des programmes d’enseignement, elle ne sert plus à poser des questions fondamentales. Notre métier induit une confusion énorme dans les esprits. « Botaniste » ne signifie pas « amateur de plantes » : la dimension scientifique de notre pratique est parfois éludée (alors qu’on ne parlerait pas d’amateurisme pour un entomologiste ou d’un géologue).

F. H. C’est sympathique par certains côtés. Mais cela n’aide pas à prendre au sérieux la discipline et les problèmes liés à son enseignement. Regardez le nombre de livres consacrés aux jardins, aux plantes, et surtout aux arbres, qui paraissent actuellement ; cela démontre que le public s’intéresse aux plantes.

P. B. Il se passe également autre chose aujourd’hui. Grâce à Internet, tout un chacun a accès à des flores et à des articles. De plus en plus d’amateurs deviennent suffisamment botanistes pour décrire de nouvelles espèces. Comment tout cela va-t-il évoluer ? Est-ce que la botanique va migrer d’une structure universitaire vers des structures plus diffuses, plus libres ?… J’ajoute qu’on confond les personnes qui connaissent le nom des plantes et celles qui connaissent les plantes. Savoir le nom de 5000 plantes, ce n’est pas l’important. Être botaniste, c’est regarder une plante, s’émerveiller, essayer de comprendre pourquoi elle est là. Et plus encore, pratiquer la botanique de l’absence, qui consiste à chercher pourquoi tel groupe de plantes n’est pas là, alors qu’il pourrait y être. C’est aller au-delà du sublime. Cela veut dire qu’il faut prendre du temps, se déplacer, être en contact avec les plantes et surtout les milieux dans lesquels elles se développent et appréhender leurs conditions de vie.

G._L. LA DÉCOUVERTE D’UNE NOUVELLE PLANTE EST-ELLE UN ASPECT IMPORTANT DE LA DISCIPLINE ?

P. B. Bien sûr que non ! La découverte d’une nouvelle plante ne nous apporte pas grand-chose.

F. H. Ce n’est pas ce qui retient notre attention. Pour moi, c’est même une nuisance. Car si je trouve un phénomène biologique qui m’intéresse sur une espèce nouvelle, je ne peux en parler à personne, puisqu’elle n’est pas connue et n’a pas de nom !

P. B. Une autre forme de nuisance, selon moi, est l’orientation actuelle de la botanique vers la biologie moléculaire : cette tendance implique une recrudescence de la chasse aux espèces nouvelles, qu’il faut alors s’essayer à classer. Cette cuisine génétique, sur ordinateur, c’est tout sauf de la botanique.

F. H. Nous avons tous deux vécu le passage à l’analyse génétique, la phylogénèse moléculaire. J’ai des collègues qui trouvent que le résultat est un foutoir innommable et regrettent cette évolution, car on avait une belle systématique fondée sur la morphologie auparavant. Tu en penses quoi ?

P. B. Les changements ne sont pas si importants. L’essentiel de ces modifications fait ressortir des éléments contenus dans des classifications précédentes.

F. H. Ces nouvelles classifications permettent même de mieux comprendre les choses. Le fait de placer le baobab africain dans la même famille que les mauves d’Europe, c’est un progrès évident pour tous ceux qui savent observer les plantes !… 
Par ailleurs, depuis quelques années, une foule de livres abordent la question de l’intelligence des plantes. Certains affirment qu’il s’agit bien d’intelligence, tandis que d’autres dénoncent une manifestation d’anthropocentrisme. Quel est ton point de vue ?

P. B. C’est évident que les plantes ont des systèmes de perception du milieu qui n’ont rien à voir avec les nôtres. Si on appelle cela « intelligence » par le fait que c’est l’art de s’adapter, ce terme ne me choque pas. Mais je trouve plus pertinent de parler de la capacité des plantes à percevoir très finement le milieu et ses variations.

F. H. J’ai été très longtemps réticent envers le terme « intelligence », car d’après la définition que j’en avais trouvé dans le dictionnaire, elle ne s’appliquait qu’à l’être humain. Il fallait avoir un gros cerveau, un langage sonore et pouvoir se déplacer. Je me suis dit que les plantes, n’ayant pas tout cela, ne pouvaient donc pas être intelligentes ! Un jour, un collègue canadien, Jeremy Narby, m’a mis en garde : « Attention, c’est un être humain qui a rédigé la définition du dictionnaire. La personne est donc à la fois juge et partie dans cette affaire. Ce qui est la porte ouverte aux pires exactions ! Il faut réécrire la définition. » Pour moi, est intelligent tout être vivant capable de résoudre les problèmes qu’il rencontre au cours de son existence ayant trait à sa survie et à son bien-être. Cela repose sur deux piliers : savoir apprendre et savoir garder en mémoire ce que l’on a appris pour pouvoir l’utiliser par la suite.

P. B. Dans ta définition, il n’y a pas la notion de fluctuations de milieu, très importante à mon avis. Ces fluctuations peuvent entraîner des pulsions, différentes de l’apprentissage.

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Cet article est extrait du neuvième opus de la revue Garden_Lab : [Être] botaniste. À découvrir dans sa version intégrale

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